L’ANTRE DES IDÉES
« Une caravane est un cocon qui protège des dérèglements de toutes sortes (l’argent, le temps) mais un cocon suffisamment frêle pour nous rappeler que nous restons à la merci desdits dérèglements.
C’est rester les roues sur terre, au contact de la nature, avec les saisons qui s’infiltrent, été comme hiver, jusqu’à l’intérieur. C’est vouloir vivre avec le chaud, le froid, la pluie, le bruit.
C’est aussi une manière d’affirmer son identité. À Aubervilliers ou sur les routes, nous sommes reconnaissables.
Il ne s’agit pas d’offrir le spectacle d’une « vie de bohème » ou je ne sais quel autre poncif de la sorte, il s’agit de vivre « à échelle humaine ». J’ai pu éprouver des sensations proches dans un contexte de tournée très différent, au Japon, où tout est conçu pour que l’espace de vie soit à portée de main, où tout a sa raison, dans une sorte d’esthétique du minimum.
Vivre avec des chevaux c’est cela, c’est en quelque sorte vivre sur Terre sans la perdre de vue, c’est tout simplement s’adapter à la nature, à l’environnement immédiat qu’elle propose, c’est refuser de l’ignorer en ne vivant pas dans des bulles aseptisées climatisées à température constante.
Si vivre en caravane toute l’année est sans doute un inconfort pour la plupart, cela favorise pour moi un rythme en accord avec la vie. Un certain inconfort est nécessaire aussi bien pour vivre que pour créer. L’organisme en a besoin. Besoin d’avoir froid ou d’avoir chaud. Ou si ce n’est de l’inconfort, au moins une forme de bien-être différente, plus physiquement en phase avec la nature.
La quête du confort n’est en réalité qu’une lente et insidieuse séparation, apparemment indolore, d’avec la nature.
La caravane est avant tout une extension naturelle de celui qui y vit. Le paradoxe est là : il n’y a pas moins voyageur que celui qui vit en caravane. Ailleurs, seul avec ma valise, il m’est arrivé de me sentir perdu. J’ai besoin d’emmener mon monde avec moi. Que je me pose à Aubervilliers, à Rome ou devant le château de Versailles, seul le jardin change, en ouvrant la porte. »
Bartabas, extrait du Manifeste pour la vie d’artiste, Editions Autrement, 2012